Christiane Flouquet est Directeur de l’action sociale Île-de-France de la CNAV. Dans le cadre de notre série d’interviews, nous avons souhaité recueillir sa parole pour comprendre sa vision du milieu de l’aide aux personnes âgées fragilisées et des enjeux du vieillissement.
Rencontre avec Christiane Flouquet
CetteFamille : Bonjour Madame Flouquet, et merci de nous accorder de votre temps. Quel regard portez-vous sur les politiques du vieillissement de ces vingt dernières années ?
Christiane Flouquet : Il y a eu un réel tournant aux environs de 2001, confirmé en 2015 par la loi d’adaptation de la société au vieillissement (ASV). La Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV) s’est principalement recentrée sur les questions de prévention. En effet, c’est par là que passent les réponses aux enjeux démographiques qui s’annoncent. Comment permettre aux personnes de rester longtemps chez elles ? Comment les informer sur leurs droits et les dispositifs qui existent et auxquels elles peuvent prétendre ? Voici les enjeux de la CNAV depuis vingt ans.
Comment réaffirmer ce rôle essentiel dans le contexte actuel de tension budgétaire ?
Christiane Flouquet : Le budget n’est pas si contraint, et le problème qui se pose est souvent inverse. Je pourrais presque dire « comment dépenser l’argent ? » car le problème est souvent plus celui de l’accès au droit que des budgets restreints. D’autre part, les projets fleurissent et il s’agit de se repérer dans l’ensemble d’une offre complexe qui parfois se recoupe.
Concernant le recours au droit, les choses ne changent-elles pas progressivement ? On peut penser au statut des aidants, plus connu qu’auparavant, par exemple.
Christiane Flouquet : Concernant les proches aidants, il reste un vrai problème de reconnaissance de l’aidant – surtout de reconnaissance par lui-même. Le sujet se situe au niveau du déni de l’aidant de son propre statut, ce qui est très compliqué à résoudre. A titre d’exemple, la CNAV lance depuis trois ans un appel à projets sur l’aide aux aidants, où nous attendons des offres relativement classiques pour répondre aux besoins des personnes. L’année dernière nous n’avons pas utilisé toute l’enveloppe financière qui était allouée à ce projet. Donc il y a de l’argent. On s’interroge néanmoins avec l’Agence Régionale de Santé (ARS) et les départements sur la nécessité de faire un diagnostic des offres existantes pour ne choisir que celles qui apportent des réponses nouvelles.
Tant qu’on n’amènera pas les personnes à reconnaître qu’elles sont aidantes et qu’elles ont elles-mêmes besoin d’aide, ça sera très compliqué.
Le sujet est bien pris en charge pour les salariés car il y a des conséquences organisationnelles qui ont été prises en compte par le législateur : le droit au répit, le droit de congé des salariés aidants etc. Même si dans les faits cela reste souvent difficile d’y recourir, au moins les choses évoluent dans le bon sens. Le sujet est donc en voie d’être réglé pour ceux qui sont dans la vie active. Mais pour les aidants familiaux qui sont à la retraite et souvent conjoints de la personne dépendante, les réponses ne sont pas encore assez satisfaisantes. Ils sont souvent livrés à eux-mêmes et ne reçoivent l’aide de personne. Pour eux le problème reste entier. C’est un vrai champ d’investigation pour avancer, et je pense que les réponses existent déjà en partie.
Quels sont ces champs d’investigation à explorer, pour aller dans le sens de plus d’autonomie et une meilleure inclusion des personnes fragiles ?
Christiane Flouquet : Le sujet prioritaire c’est l’habitat. C’est une réponse qui peut être reliée à tous les niveaux de prise en charge du vieillissement. C’est une problématique indispensable à prendre en compte le plus tôt possible. Aujourd’hui, reconnaître qu’il faut se préoccuper de l’adaptation des logements en vue de favoriser le maintien à domicile, de rendre les logements accessibles (salles de bains, escaliers…) mais aussi l’environnement en général… C’est un vrai sujet sur lequel la CNAV se mobilise tout particulièrement.
Le problème de l’habitat se pose aussi pour des personnes déjà âgées, qui refusent d’adapter leur logement ou s’y prennent trop tard. À un certain âge, ça devient compliqué d’envisager de mettre en œuvre les recommandations. Et la décision d’une mobilité résidentielle peut devenir compliquée à prendre à un âge avancé. Malheureusement, la décision de déménager est souvent prise dans l’urgence car on repousse le moment de le faire au maximum… Ce sont vraiment des axes différents, pour lesquels les réponses à apporter ne sont pas les mêmes.
CetteFamille apporte une réponse au problème du logement, et il y en a d’autres qui dépendront des attentes de chacun. La cohabitation intergénérationnelle, le déménagement vers une résidence autonomie, etc. Toutes ces solutions sont des réponses adaptées à des cas et des âges particuliers. Mais on voit bien que le plus important est d’y penser le plus tôt possible.
Ce thème du logement est largement mis en avant dans le rapport Libault, qui a été rendu en mars 2019 et annonce une évolution légale pour cette année. Que peut-on attendre de la future loi « dépendance » ?
Christiane Flouquet : Joker ! [rires]
La CNAV a bien sûr participé aux travaux de la commission Libault mais curieusement pas sur la thématique du logement. Nous avons été associés à la gouvernance et à la prévention au sens large. Je crois que le mieux est d’attendre les suites qui seront données. Néanmoins je suis confiante car le rapport donne le poids qu’elle mérite à la problématique du logement, qui sera donc bien prise en charge. D’ailleurs les acteurs n’ont pas attendu le rapport Libault pour se mettre autour de la table, il y a des dispositifs qui poussent les acteurs y compris les acteurs sociaux à se mobiliser fortement sur ces champs-là. Nous travaillons bien entendu avec eux pour faire du logement social un logement plus facilement adapté et surtout un lieu de sensibilisation à la prévention.
Y-a-t-il des dispositifs que vous aimeriez citer particulièrement ?
Christiane Flouquet : Dans ce que la CNAV peut mobiliser autour du logement, il y a le soutien à la rénovation des appartements (y compris le plus tôt possible). Ce qui implique un lien avec la mobilité résidentielle bien sûr. Nous nous engageons aussi particulièrement pour la lutte contre l’isolement et la recréation de lien social via l’organisation d’ateliers de prévention pour convaincre les seniors de sortir de chez eux, de voir des gens etc. On doit pouvoir faciliter l’adhésion des personnes aux ateliers qu’on met en place, pour donner le goût de faire des choses et de sortir.
Le dernier axe que je voudrais citer est celui de l’inclusion numérique. Nous avons une responsabilité publique vis-à-vis de l’éloignement des personnes d’un certain nombre de services publics, à cause de la dématérialisation des échanges. Les plateformes numériques ne sont pas toujours adaptées à tous les publics. Il faut diversifier les canaux d’information et continuer à maintenir une politique de proximité pour les personnes qui en sont éloignées, tout en développant l’accession au numérique. En Île-de-France nous développons tout un réseau d’inclusion numérique avec des ateliers proposés aux retraités en fonction de leur maîtrise ou absence de maîtrise des outils numériques. L’engagement est de leur apprendre à se servir de tous les portails publics, mais aussi de leur permettre l’accès à la prévention via ces canaux. C’est une réponse complémentaire et transversale sur laquelle développer nos politiques retraite et nos actions.
En résumé : lien social, rupture de l’isolement, habitat. Voici des thèmes qui ne vous surprendront pas. Plus largement, il est important de contribuer collectivement pour permettre d’exprimer les besoins des usagers. A la CNAV nous devons jouer un rôle national de garant d’une égalité de traitement des citoyens devant le dispositif. C’est aussi notre rôle de service public.
Merci Mme Flouquet pour votre disponibilité et les réponses à nos questions.
— Propos recueillis le 29 avril 2019.