Le 20 juin 2019 se tenait dans l’enceinte du Conseil départemental de l’Orne, à Alençon, un colloque organisé par France Alzheimer Orne et CetteFamille, en présence des élus, des associations, des professionnels, des malades et de leurs aidants.
France Alzheimer Orne et CetteFamille ont souhaité organiser ce colloque pour faire vivre une philosophie commune ; celle de sortir d’un raisonnement binaire entre le tout-domicile et le tout-EHPAD. Certes, parfois l’EHPAD est la solution la plus adaptée mais pas toujours car chaque personne malade est unique, chaque famille est unique et c’est pour cela que la réponse apportée doit être unique elle aussi.
Pour ce faire, Etienne Trouplin, Président de France Alzheimer Orne, et Paul-Alexis Racine Jourdren, Président de CetteFamille ont souhaité témoigner de la force de la coopération et de la nécessité de travailler ensemble, en introduction des échanges de l’après-midi.
Par leur présence et leurs mots, Christophe de Balorre, Président du Conseil départemental de l’Orne, et Joël Jaouen, Président de l’Union Nationale France Alzheimer, ont également témoigné de cet engagement fort en faveur du bien vieillir et d’un meilleur accompagnement des personnes malades d’Alzheimer.
Retour sur cette journée riche de partages.
Introduction : la maladie d’Alzheimer
Comme toutes les maladies cognitives, la maladie d’Alzheimer touche à l’intime et à l’identité des personnes. Le docteur Marrière, gériatre à Alençon, ouvre la journée en présentant les causes cliniques et les symptômes de la maladie. Outre les pertes de mémoire, ce sont aussi les difficultés à se repérer dans l’espace et le temps qui peuvent poser un problème et contribuer peu à peu à rendre difficile la relation avec les aidants et les familles. Ces difficultés ne sont pas toujours identifiées par les aidants comme étant les prémices de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée. Ce qui peut générer incompréhension, peine et frustration.
Pourtant, le docteur Marrière insiste sur l’importance de la considération que l’on doit porter aux malades. « Même lorsque la maladie évolue, il faut conserver le sentiment d’identité des personnes ». Un sentiment d’identité qui va de pair avec la conservation d’un certain statut social dans la famille, par exemple, mais aussi l’habitude pour le malade d’être consulté dans les choix – et spécialement dans les choix qui le concernent directement.
De nombreux malades subissent des décisions qui ne sont pas les leurs, parce que leurs aidants peuvent avoir tendance à les « disqualifier » et à ne plus les consulter.
Accompagner l’aidant et la personne malade : trouver l’information et être écouté
Etienne Trouplin, Président de France Alzheimer Orne, le rappelle en introduction : « Une personne malade, et c’est toute une famille qui a besoin d’aide ». Toute l’équipe bénévole de France Alzheimer Orne, comme les professionnels et bénévoles en général, apporte de l’aide aux familles et aux malades.
Le rôle du CLIC : accompagner à domicile
Céline Chantepie, du CLIC Centre Orne, rappelle le rôle et l’importance des Centres Locaux d’Information et de Coordination dans le parcours de vie des personnes âgées. Partout en France les CLIC accueillent et conseillent les particuliers sur les démarches et les services disponibles dans le département. Ils permettent de découvrir les aides au maintien à domicile, les associations de soutien, l’adaptation de l’habitat, le portage de repas etc. Le CLIC est également capable d’orienter vers des dispositifs plus spécifiques, comme les ESA, équipes spécialisées Alzheimer.
L’aide du CLIC va au-delà de la simple orientation et peut également concerner la mise en place d’actions collectives telles que des groupes d’expression pour les aidants familiaux, par exemple ; ou l’organisation de conférences, d’actions d’information et/ou de prévention.
L’aide du CLIC peut également concerner une aide administrative à la constitution des dossiers d’aides sociales, la coordination des intervenants à domicile, le suivi des personnes etc.
Le rôle du CLIC : informer sur les structures d’hébergement
Céline Chantepie rappelle les principaux types d’accueil pour les personnes malades d’Alzheimer. Notamment :
- Les accueils de jours, qui favorisent le maintien des capacités des personnes malades grâce à des activités (gym douce, repas thérapeutique, jeux, jardinage, activités artistiques…), mais aussi le maintien à domicile et le droit au répit des aidants.
- Les résidences autonomie (publiques) et résidences services (privées), domiciles qui accueillent des personnes âgées autonomes (GIR 5 et 6) dans des logements indépendants avec des salles communes et des activités collectives.
- L’accueil familial, qui permet à des particuliers agréés et professionnels d’accueillir d’accompagner à leur domicile des personnes âgées ou en situation de handicap, dont l’état de santé ne nécessite pas une surveillance médicale constante.
- Les EHPAD et les unités spécifiques, qui peuvent proposer un accueil provisoire (90 jours maximum, par an) ou permanent de la personne malade. Les unités spécifiques existent sous différentes modalités :
- Les USLD : Unité de Soins de Longue Durée, pour les personnes dont l’état de santé nécessite une surveillance constante et des traitements médicaux d’entretien.
- Les UPHV : Unité pour Personnes Handicapées Vieillissantes.
- Les UHR : Unité d’Hébergement Renforcé, concerne les personnes ayant des troubles de type maladie d’Alzheimer ou apparentée avec activités adaptées.
- Les PASA : Pôle d’Activités et de Soins Adaptés, accueille les résidents ayant des troubles modérés du comportement.
Les actions de proximité de France Alzheimer
Avant toute entrée en structure d’accueil, la première aide à apporter, rappelle Etienne Trouplin, c’est l’écoute. Le diagnostic de la maladie sonne souvent comme un coup dur et laisse les familles désemparées. France Alzheimer Orne (comme les autres antennes départementales de France Alzheimer) apporte cette première aide grâce à des permanences pour donner les informations dont les bénéficiaires peuvent avoir besoin. Cette écoute se fait aussi par téléphone et Internet (et en anglais via une permanence dédiée).
Autre initiative : les « Cafés Mémoire » sont des moments chaleureux qui permettent de créer du lien social pendant deux heures environ, et de parler de toute autre chose que de la maladie. Les bénévoles et psychologues de l’association y côtoient les malades avant tout pour se changer les idées et créée du lien. Une initiative d’autant plus positive quand on sait l’importance du lien social pour ralentir la progression de la maladie.
Et ce n’est pas tout. L’association est également active dans l’aide aux aidants, via des séances de sophrologie dédiée, et des séjours de vacances dédiés financés par les associations et commerçants locaux.
La maladie d’Alzheimer reste souvent honteuse pour ceux qui en souffrent, et elle peut faire peur. Ceci peut dissuader certains aidants de venir rencontrer l’association, et c’est dommage car ceux qui franchissent le pas sont très positifs quant à l’apport de ces échanges.
Quand le maintien à domicile n’est plus possible, il peut être nécessaire de passer le relai
A quel moment peut-on parler des « limites du maintien à domicile » ?
Le maintien à domicile des personnes malades d’Alzheimer rencontre inévitablement ses limites lorsque la maladie atteint un certain stade. Il s’agit de reconnaître les limites de ce maintien pour le bien de l’aidé comme de l’aidant.
Amélie Barraud, neuropsychologue, rappelle que les limites de cette vie à domicile pour la personne malade sont celles qui peuvent provoquer sa mise en danger. Le risque d’accident est réel pour les personnes malades dont le comportement est modifié à mesure que la mémoire et les gestes du quotidien sont difficiles à mobiliser.
Souvent moins identifiées, les limites de l’aidant sont atteintes lorsqu’il devient épuisant d’aider son proche. L’inversion des cycles du sommeil, les troubles de l’alimentation et de la mémoire, les pertes de repères du malade font courir un risque réel d’épuisement de l’aidant. Parmi les limites de l’aidant :
- L’épuisement, qui fait courir un risque sur la santé,
- Le risque de délaisser ou minimiser ses propres problèmes de santé,
- Les risques d’isolement, dus à la peur de la maladie et à la disponibilité demandée aux proches aidants auprès du malade,
- Les risques financiers, aggravés par le déremboursement des médicaments « anti-Alzheimer » et le coût des adaptations du logement contre les chutes et autres dangers domestiques.
Pour éviter ces risques, il s’agit d’anticiper et de déculpabiliser les malades comme les aidants : passer le relai à un professionnel n’est pas abandonner son proche. Intervenir tôt dans la prise en charge permet de favoriser le maintien à domicile.
Anticiper les solutions pour trouver celle qui conviendra le mieux
Ces limites du maintien à domicile incitent à réfléchir aux autres modes d’habitat pour les personnes malades. L’EHPAD est logiquement l’une des premières réponses à cette problématique, envisagée par la plupart des aidants et leurs proches malades, car très connu. Pour Mélanie Sempé, Psychologue à l’EHPAD Charles Aveline (Alençon le contexte est parfois défavorable. En effet, les EHPAD ont souvent mauvaise image, et l’aidant peut avoir du mal à l’accepter et à le faire accepter à la personne malade. Dans une large majorité de cas, l’entrée en EHPAD se fait sans le consentement de la personne concernée. Mélanie Sempé le rappelle : cet état de fait est dû à l’urgence des situations, qui provoque des prises de décision en urgence, par exemple à la suite d’un accident.
Pour éviter d’en arriver là, la psychologue donne plusieurs conseils :
- Il faut en parler avec le futur résident, et ne jamais lui mentir car la maladie n’empêche pas de se rendre compte de la situation… et le mensonge fragilise la relation de confiance entre aidant et aidé.
- Il faut se renseigner bien en amont sur les dispositifs d’habitat qui existent dans le département de résidence de la personne, et en parler ensemble.
Mélanie Sempé a conclu son intervention en citant Joseph Templier : « Accompagner quelqu’un, c’est ne se placer ni devant, ni derrière, ni à la place. C’est être à côté. »
Quelles solutions pour les malades d’Alzheimer jeunes ?
Le sujet des malades jeunes pose d’autres problèmes. Joël Jaouen, Président de France Alzheimer, rappelle l’impossibilité de ces malades de moins de 60 ans de cohabiter en EHPAD avec des personnes de plus de trente ans qu’elles, alors que ces malades jeunes ont souvent travail et famille… Pour Joël Jaouen, le sujet représente l’un des défis majeurs de la prise en charge de demain, pour lequel des réponses devront être apportées.
Quelles initiatives ailleurs en France ?
L’habitat partagé ou comment vivre ensemble
Dimitry Maciejewsky, chargé de Missions Qualité et Développement chez Les Petits Frères des Pauvres, présente une initiative développée par son association : la colocation entre personnes âgées y compris malades d’Alzheimer à la Maison du Thil (Beauvais).
Un dispositif prometteur qui demande à être développé au niveau national.
De son côté, Christophe Roy, Directeur des Missions Sociales de l’Union Nationale France Alzheimer met en avant les nouveaux dispositifs qui permettent de vivre différemment, dont la colocation intergénérationnelle fait partie, ainsi que d’autres exemples comme La Maison des Sages ou l’accueil familial. Christophe Roy présente l’exemple de la Guadeloupe, où les accueillants familiaux ont été formés aux spécificités de la maladie d’Alzheimer pour accompagner au mieux les malades et leurs proches.
L’importance de la formation
La formation est en effet une préoccupation prépondérante de France Alzheimer. Comme le rappelle Christophe Roy, il est indispensable de former systématiquement les personnes travaillant avec des personnes présentant des troubles cognitifs. En effet : 70% des résidents d’établissements sont concernés, et les professionnels ne sont pas toujours suffisamment formés pour les prendre en charge. Christophe Roy ajoute « la prise de conscience doit être immédiate, les accueillants familiaux et les professionnels de ce secteur doivent être davantage formés. Les politiques doivent débloquer des crédits sur le sujet, il y a urgence. »
L’accueil familial : une autre façon d’accompagner
Manon Cerdan, Directrice de l’Innovation médico-sociale chez CetteFamille, revient sur l’accueil familial. Dans ce mode d’habitat atypique et peu connu, « tout commence par une rencontre, puis l’envie de vivre ensemble. Une relation de confiance s’installe alors aussi avec les proches de la personne âgée que l’on accueille chez soi. » L’accueil familial est un projet d’accueil porté par un professionnel, qui implique cette relation tripolaire.
« L’accueil familial c’est aussi trouver une place pour les proches » qui ne doivent pas craindre de voir leur parent aimer cette nouvelle famille. Le sujet de la culpabilité des aidants est ici prépondérant, mais la crainte s’efface lorsqu’ils comprennent que l’accueillant est un(e) professionnel(le) dont la formation vient souvent en plus d’une expérience préalable (bien souvent en EHPAD).
Les avantages de l’accueil familial sont pourtant nombreux : une petite structure d’accueil (limitée à 3 personnes accueillies à la fois) ; la présence professionnelle de l’accueillant, qui propose des activités et une aide personnalisée stimulantes ; le tout dans un cadre familial chaleureux.
Conclusion
Avec les défis démographiques du grand âge, la prise en charge des maladies neuro-évolutives et notamment de la maladie d’Alzheimer font face à un enjeu de transformation majeur. Pour Yves Héricourt, modérateur du colloque résumant les échanges animés avec la salle, les efforts conjoints des publics, des associations et des professionnels permettront d’inventer les nouvelles prises en charge de demain, vers une société plus inclusive et respectueuse des personnes malades d’Alzheimer.
En co-organisant cet événement, France Alzheimer et CetteFamille ont incarné ensemble les valeurs qu’ils partagent ; la nécessité d’informer dans les territoires pour obtenir des réponses adaptées, le développement de solutions alternatives d’habitat pour que chacun puisse trouver une solution accessible et la force de la coopération pour répondre aux besoins des citoyens.
Une façon d’illustrer en action les termes d’Antoine de Saint Exupéry : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. »
Résumé du programme
- Introduction
Christophe de Balorre, Président du Conseil départemental de l’Orne,
Joël Jaouen, Président de l’Union Nationale France Alzheimer - Introduction autour de la maladie d’Alzheimer : symptômes, diagnostic, suivi médical
Dr Marrière, médecin gériatre d’Alençon - Accompagnement de l’aidant et des personnes malades : quels dispositifs ? quelles aides ?
Céline Chantepie, CLIC Centre Orne (sous réserve de disponibilité)
Étienne Trouplin, Président France Alzheimer Orne - Que faire quand le maintien à domicile n’est plus possible ?
Amélie Barraud, Neuropsychologue (aide à domicile)
Mélanie Sempé, Psychologue EHPAD Charles Aveline, Alençon - Regards croisés : quelles initiatives ailleurs en France ?
Dimitry Maciejewski, Les Petits Frères des Pauvres
Manon Cerdan, Directrice Innovation médico-sociale, CetteFamille
Christophe Roy, Directeur Missions Sociales Union Nationale France Alzheimer (habitats partagés, maisons de Crolle, Maison des sages etc.)
Ce colloque a été animé par Yves Héricourt, Membre qualifié de la FNAQPA et ancien DG de Les Bruyeres Association-LBA.