Le 13 décembre dernier CetteFamille, Silver Valley et La compagnie des aidants, organisaient une rencontre sur le thème de la coordination. L’occasion de questionner les représentations du grand âge autour de la problématique suivante :
« La coordination, le point noir du parcours de l’usager… Et si l’État s’en mêlait ? »
Les invités de la table ronde étaient :
- Luc Broussy, Président de France Silver Eco et auteur du rapport de la Mission Interministérielle sur l’adaptation de la société française au vieillissement de sa population,
- Camille Mairesse, Responsable du pilotage et du développement au Prif (Prévention et Retraite Ile de France),
- Anne Monnier, Consultante Projets de Santé Numérique et a accompagné la mise en place du DMP (Dossier Médical Partagé).
Voici le compte-rendu de leurs échanges.
Un milieu complexe
Le secteur médico-social est un milieu complexe et fortement réglementé. A moins de s’intéresser de près au sujet, il est courant que les sigles CCAS, PRIF, CLIC etc. soient mal compris ou ignorés. Face à ce constat, plusieurs remarques s’imposent.
Premièrement, il semblerait que les acteurs, très divers, aient du mal à communiquer entre eux, voire parfois qu’ils ne communiquent pas du tout, du fait de leur mise en concurrence et de leur diversité. Ensuite, l’offre de services est atomisée, ce qui provoque de grandes disparités territoriales. Enfin, les usagers ne sont pas sensibilisés aux problématiques du vieillissement et de la perte d’autonomie avant d’y être eux-mêmes confrontés. Pour Luc Broussy « il ne serait pas aberrant de demander aux gens de s’intéresser à leur grand âge dès la retraite pour favoriser la prévention ; et pour préparer efficacement leur perte d’autonomie en termes de mobilité, santé etc. » Anne Monnier ajoute : « Comme pour la mise en place du Dossier Médical Partagé (DMP) de 2004 à 2016, il s’agit de changer l’état d’esprit des soignants et des usagers, pour passer d’une logique de soin d’une maladie à une logique de parcours de soin. Et même de d’aller plus loin, en pensant parcours de vie. » Mais pour parvenir à ce résultat, il est difficile de savoir quels acteurs mettre autour de la table.
Néanmoins, les acteurs de terrain sont nombreux et ils s’impliquent ! Pour autant, la logique de rationalisation des parcours se heurte à des barrières légitimes. « Vais-je conserver mon identité ? Vais-je sécuriser mon financement d’une année sur l’autre ? » Pour Camille Mairesse, il y a des difficultés à communiquer entre les acteurs du fait de cultures et de façons de travailler parfois très différentes. Les différents acteurs peuvent avoir peur de « perdre leur âme » et ne plus faire leur travail initial. Le manque de temps et la taille des structures ne permettent pas toujours de réfléchir à la problématique de la coordination.
Vers plus de simplicité dans l’accès aux services
Pour le bénéficiaire de services à la personne et des différentes aides sociales, le secteur manque de lisibilité. Pour Camille Mairesse, c’est lorsqu’on découvre le secteur que l’on se rend compte du nombre d’acteurs institutionnels, associatifs ou encore privés qui y interviennent. L’État n’est pas en reste ; il a eu un rôle moteur en impulsant dans les territoires de nouvelles dynamiques comme cela a été le cas avec les CLIC ou la Conférence des Financeurs, qui font un travail formidable mais « il faut se demander comment les personnes concernées reçoivent les nombreux dispositifs qui les concernent et comment elles vivent leur parcours ». Finalement, les usagers ressentent-ils une meilleure coordination ?
De l’extérieur, il y a de quoi être perdu face au nombre d’aides et d’acteurs. Qui connait les CLIC parmi le grand public ? Pour Camille Mairesse, il y a un énorme effort de communication à faire sur ces dispositifs… auprès des personnes les plus concernées. « On promeut trop ces dispositifs auprès des professionnels et auprès des personnes qui vivent une crise – or c’est le moment où elles sont le moins réceptives. » D’où l’importance de la prévention auprès des personnes de 50 à 60 ans, afin de « planter une petite graine » dont ils n’auront peut-être pas un souvenir précis, mais qu’ils pourront réactiver lorsque le besoin s’en fera sentir.
Luc Broussy revient sur l’exemple des CLIC, créés en 1999 et dont la vocation première était la création d’un « guichet unique » lisible pour l’usager. « Les CLIC sont très différents selon leur niveau (de 1 à 3) et peuvent être créés à l’initiative de n’importe quel acteur : département, association… Le maillage territorial qui en résulte est très différent d’une région à l’autre. Les CLIC ont fleuri mais leur couverture nationale est disparate. » Autre défaut, la coordination ne relève d’aucune autorité spécifique car chacun des acteurs cherche à se saisir du rôle de centralisation de l’information, créant parfois des situations ubuesques de « coordination des coordinateurs ». Heureusement, les défauts observés au niveau global ne sont pas toujours répercutés sur les services locaux qui peuvent être très efficaces. Luc Broussy conclut : « Il faut raisonner par l’usager plutôt que par l’institution. Il faut scinder la lisibilité pour le citoyen (comprendre les offres de services et les aides disponibles) et la coordination des acteurs au niveau global. »
Un défi au long cours
Cette coordination s’entend sur des périodes longues, 10 ou 20 ans, avec les contraintes légitimes de la sécurité et de la confidentialité lorsqu’on modifie les systèmes informatiques. L’exemple du DMP est parlant puisqu’il centralise toutes les données médicales de la personne et lui permet de ne pas devoir s’en souvenir en se rendant chez le médecin. Tout est accessible et contrôlé par le patient, mais il faut s’assurer que les systèmes techniques suivent et ne présentent aucune faille… en plus de s’atteler à la conduite du changement chez les particuliers et professionnels. S’ils ne l’utilisent pas, le DMP est une coquille vide. Un tel projet révèle le niveau d’équipement des cabinets médicaux et le degré d’interopérabilité des systèmes dans les hôpitaux. Autant de sujets cruciaux à traiter si l’on cherche l’harmonisation – et qui ne laissent pas de place à l’improvisation. Ne s’improvisent pas.
La coordination des acteurs est encore trop limitée au secteur médico-social à l’heure où il faudrait raisonner en termes de parcours de vie liée à la personne. La coordination des services a ses limites car il ne faut pas remettre en question ce qui existe et – souvent – fonctionne déjà bien à l’échelle locale. Raisonner en termes de « guichet unique » trouve ses limites dans la réalité de services ni uniques, ni harmonisés. Pour Anne Monnier, l’État a sans doute un rôle à jouer dans le développement de cette interopérabilité des systèmes. Charge toutefois à l’usager de ne pas attendre en se responsabilisant et en réfléchissant peut-être plus en amont sa propre « stratégie du vieillissement » pour ne pas être pris au dépourvu lorsque le temps sera venu de faire appel à ces acteurs.