Joël Jaouen est Président de l’Union Nationale France Alzheimer et maladies apparentées. Dans le cadre de notre série d’interviews, nous nous sommes entretenus avec lui des enjeux et problématiques liées à la maladie d’Alzheimer.
Rencontre avec Joël Jaouen
Quels sont les enjeux actuels de l’accompagnement des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et de leurs aidants ?
Joël Jaouen : On retrouve ces enjeux dans les missions principales de France Alzheimer. Premièrement nous assurons des missions sociales : groupes de parole, cafés mémoire, etc. Au plus près des malades, des aidants et des familles, nous tâchons de les orienter et de les accompagner dès la découverte de la maladie.
Une autre mission principale, c’est d’être un financeur de la recherche. C’est un objectif bien précis car nous sommes le premier financeur privé associatif de France. J’ai un défi permanent : trouver les financements pour la recherche. Nous animons en interne un conseil scientifique, qui lance un appel à candidature de jeunes chercheurs tous les ans, et délivrons une dizaine de bourses de recherche. Par ailleurs je viens d’ouvrir la discussion avec d’autres fondations. L’objectif est la création d’un fonds de dotation pour être plus pertinents, plus performants dans nos aides à la recherche.
La formation fait aussi partie de nos missions essentielles. En premier lieu, nous sommes des formateurs, notamment sur la formation des aidants. Nous venons de quadrupler notre budget CNSA. Nous faisons environ 500 formations par an.
Nous formons aussi les bénévoles, et sommes un acteur officiel et reconnu dans le domaine de la formation professionnelle. Notre qualité, notre vécu permettent d’être pertinents. Nous sommes sur le terrain, à l’écoute des familles, ce qui permet de proposer des formations professionnelles pertinentes pour un meilleur accompagnement.
Notre quatrième grande mission est l’action de plaidoyer envers les pouvoirs publics, qui est d’actualité puisque le déremboursement des médicaments « anti-Alzheimer » vient d’être décidé. Nous avons porté plainte contre la ministre Agnès Buzyn auprès du Conseil d’Etat. Nous sommes porteurs de la démarche, tout comme nous avons participé aux élections européennes en rencontrant les groupes parlementaires. J’ose espérer qu’ils exprimeront l’information et les réflexions que nous portons dans leur activité.
Mais le plaidoyer est aussi vers le grand public. C’est ce qui se passe lors d’un colloque comme celui que vous coorganisez avec nous, cela fait partie de nos missions.
Quelles relations entretenez-vous avec les pouvoirs publics ?
Joël Jaouen : Ça commence au plus haut niveau. J’appartiens personnellement au fonctionnement de la CNSA qui nous permet d’être écoutés, tout comme nous sommes reçus lorsque nous demandons une rencontre avec Mme la Ministre. Nous avons une écoute, une oreille et une crédibilité. C’est important.
Nous tâchons aussi d’établir des relations avec notre réseau, les Conseils départementaux sont nos interlocuteurs privilégiés car ils portent l’action médicosociale publique. Dans l’Orne par exemple, nous avons déjà de très bonnes relations avec le Conseil départemental.
Que peut-on attendre de la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer au niveau légal ?
Joël Jaouen : Nous avons été audités pour l’établissement du rapport Libault. J’y ai notamment dénoncé l’obsolescence de la grille AGGIR. Je parle de ce que je connais : la maladie d’Alzheimer, je suis un ancien aidant.
Le malade d’Alzheimer est à GIR 4 pendant peut-être 70% de sa vie de malade. C’est là qu’on va donner un minimum d’aides à l’aidant car la personne est supposée être autonome, alors que c’est là que la maladie est la plus usante, stressante. Les conséquences peuvent être dramatiques. A GIR 1, les personnes touchent plus d’APA mais elles sont grabataires, la prise en charge totale par la sécurité sociale réduit le rôle de l’aidant.
Je vais vous faire une confidence. Lorsque je développe ce raisonnement, mes interlocuteurs me disent « mais monsieur, vous avez raison ! » Or ce sont eux qui ont en mains les leviers pour que ça change. C’est eux qui doivent agir et changer ça.
Par ailleurs je travaille avec la Fondation Médéric Alzheimer pour améliorer l’accueil aux urgences des personnes malades qui sont hospitalisées pour autre chose que l’Alzheimer. On est capables de créer des urgences pédiatriques, alors pourquoi pas des urgences gériatriques ?
Pour en revenir à la loi Libault, je me demande ce qui nous attend. Je crains que l’identité des associations et des pathologies (et donc de l’accompagnement) soit noyée dans une grande nébuleuse « perte d’autonomie » indifférenciée. On n’accompagne pas pareillement un malade d’Alzheimer ou de Parkinson. D’où la nécessité de les différencier. Le plan 2008-2012 que nous avons vécu et qui a été si profitable pour nos familles à bien prouvé que nous avons besoin de mesures adaptées à cette pathologie et aux autres. Nous devons affirmer notre identité, nos spécificités et non être noyés.
N’y a-t-il pas un risque de surspécialisation de la prise en charge ?
Joël Jaouen : La création des ESA, des MAIA, des PASA, est issue du plan « Alzheimer 2008-2012 ». Ces structurent fonctionnent encore concrètement, et sont étendues aux autres pathologies. C’est la preuve que ça a été utile, et ça n’est pas parce que nous affirmons notre identité que les avancées ne peuvent pas profiter aux autres. Simplement, notre connaissance pointue du sujet et notre logistique nous permettent de dire « attendez, nous sommes là » !
Que pourrait-on attendre des nouveaux dispositifs qui sont créés – au chapitre du logement particulièrement ?
Joël Jaouen : Il est évident que dans l’avenir, il va falloir innover et renforcer ce qui existe et fonctionne bien. CetteFamille en est l’exemple, l’habitat partagé et les familles d’accueil n’ont jamais eu cette considération par le passé alors qu’elles sont vraiment une alternative et une solution complémentaire efficace. Nous accompagnerons toutes les initiatives qui proposent ce genre de voies alternatives.
C’est d’ailleurs encore plus pertinent pour les malades jeunes, c’est-à-dire de moins de 60 ans. Les familles d’accueil et habitats alternatifs permettent d’entretenir leurs capacités intellectuelles. Elles reculent les échéances qui arriveront par la suite.
Le sujet des malades jeunes est-il bien pris en charge ?
Joël Jaouen : On y travaille, mais nous ne sommes pas encore bons au niveau sociétal, ni au niveau associatif. Il y a eu des progrès, mais il y a encore beaucoup à faire. Moi je prône la création de structures d’accueil au niveau départemental pour ces malades-là. Actuellement ils sont orientés vers la MDPH, parce qu’ils sont handicapés, mais cette barrière de l’âge n’a pas de sens. On ne peut pas dire aux gens « venez me voir le premier janvier » alors qu’ils ont besoin de réponses immédiates et concrètes.
Quels sont les dispositifs d’avenir que vous considérez comme prometteurs ?
Joël Jaouen : J’ai développé les Cafés Mémoire au sein de France Alzheimer. Un lieu où il y a de la vie, comme une société en miniature. Les Cafés Mémoire sont importants parce qu’ils permettent de dire aux gens « revenez, fréquentez ces lieux que vous vous êtes auto-interdits parfois ». Là, c’est la vie, c’est le lien social. Et ça ne s’adresse pas qu’aux adhérents puisque ça se passe dans un lieu public.
Ensuite nous organisons aussi des séjours, avec un gros effort financier pour les rendre accessibles. Dans un cas comme dans l’autre, le but est de garder le lien social le plus longtemps possible. Pour ne pas rester seul.
— Propos recueillis le 20 juin 2019.
Merci à Joël Jaouen pour sa disponibilité et les réponses à nos questions.